Parfois, une balle courbe raconte toute une vie.
Mercredi soir, dans un Dodger Stadium en transe, Clayton Kershaw a lancé la sienne comme un point final à un roman qui n’est pas encore terminé. Une courbe, une dernière morsure, et Vinny Capra n’a vu que du feu. 3 000 retraits sur prises. Trois mille. Ce chiffre-là n’appartient qu’aux mythes.
À 37 ans, Kershaw entre dans un panthéon fermé à double tour. Celui des Seaver, des Maddux, des Randy Johnson. Une caste où les bras sont sacrés, où les chiffres deviennent des légendes, où la fidélité devient une arme d’exception. Et lui, Kersh, le Texan au regard tranquille, a fait tout ça dans une seule maison : Los Angeles.
Trois manches, trois victimes, une soirée pour l’éternité
Il ne manquait que trois K. Autant dire, rien. Et pourtant, tout.
Le public le savait, Kershaw le sentait. Dès l’échauffement, une tension sourde flottait sur Chavez Ravine. Les fans, massés depuis l’ouverture des portes, retenaient leur souffle. Il n’a pas fait durer le suspense. Miguel Vargas, son ancien pote, a été le premier à tomber. Un K sec, précis. Lenyn Sosa a suivi, au cinquième. Puis, comme une offrande au destin, Vinny Capra. Fin de sixième manche. Une courbe de gaucher, sale comme Kershaw les aime. Capra plie, la foule explose.
Ce n’était pas juste un moment de baseball. C’était une scène d’Histoire. De celles qu’on ne raconte pas, qu’on vit. Kershaw a levé la casquette. Sobre. Humain. Les bras n’étaient pas écartés, pas de danse improvisée. Juste un regard vers le ciel, et un stade debout pour lui dire merci.
Dans un monde de mercenaires, un monument de loyauté
Aujourd’hui, rester dix-huit saisons dans le même club, c’est presque romantique. Ça n’existe plus. Ou presque.
Kershaw, lui, a tout connu sous la même bannière. Les années de galère, les désillusions d’octobre, la bague en 2020, la blessure crève-cœur de 2024. Tout, avec LA sur le cœur.
Et c’est peut-être ça, la vraie dinguerie de cette histoire. Parce que Scherzer et Verlander, eux aussi dans le club des 3 000, ont bourlingué. Houston, Detroit, Washington, New York… Kershaw ? Nada. Un seul maillot. Une seule ville. Une seule fanbase, qui l’a vu passer de prodige à légende vivante.
« C’est plus qu’un joueur, c’est une institution », a lâché Dave Roberts, les yeux humides. Et comment lui donner tort ?
Une carrière construite à la main
Ce n’est pas qu’un chiffre. C’est un symbole. Une borne kilométrique sur une autoroute vers Cooperstown.
Kershaw, c’est 216 victoires, une ERA de 2.51 en carrière, trois Cy Young, un MVP, dix All-Star Games. Et une bague, enfin. Celle de 2020, dans cette bulle étrange, mais ô combien méritée. Les critiques sur ses performances en postseason ? Oubliées. Le mal de dos chronique ? Surmonté. La blessure de 2024 ? Une cicatrice de plus sur une armure déjà pleine de coups.
Mais malgré les années, le bras tient. Mieux : il parle. Il raconte une maîtrise hors normes, une science du pitch que seuls quelques élus atteignent. Il n’a jamais été le plus puissant, jamais le plus flashy. Mais quand il est sur la butte, tout ralentit. Tout devient limpide. Même les grands sluggers deviennent petits.
Héritage d’un géant
Alors oui, il y aura peut-être un dernier run en octobre. Peut-être pas. Kershaw ne court plus après le temps. Il l’a déjà dépassé.
Ce qu’il laisse derrière lui est immense. Il n’a pas seulement été un Ace. Il a été un phare. Pour toute une génération de jeunes bras qui rêvent de contrôle, de précision, de longévité. Des gars comme Walker Buehler ou Bobby Miller ne vous diront pas le contraire : ils ont grandi en regardant Kersh.
Et dans quelques années, quand il posera définitivement le gant, ce sera avec cette image en tête : celle d’un gars qui, sans jamais hausser la voix, a laissé parler son jeu.
Crédit photo : Passion MLB
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